Vous arrive-t-il d’avoir l’impression que le hasard fait bien les choses ? Que votre souhait se réalise juste après l’avoir clairement formulé dans votre esprit ? Que votre désir, accordé à cette curiosité qui vous pousse avec entrain sur la route de l’aventure, trouve précisément satisfaction à l’instant fatidique où les jeux sont faits et que rien ne va plus ? Les coulisses de cette illusion, le ressort dans le chapeau, le secret caché derrière cette émotion fugace est aussi évident qu’astucieux : tout s’est passé comme prévu.  

Lorsque la boule de cristal s’illumine de l’intérieur par le miracle de l’ampoule électrique dissimulée sous la table, bien malin qui pourra y entrevoir autre chose que ce qu’il souhaite ou redoute pour lui-même, ce que Madame Irma n’ignore point. Le seul élément d’avenir proche que l’on pourra sérieusement en extraire est que nous sortirons de cette roulotte un peu moins riche que nous ne l’étions en entrant. Et c’est précisément autour de cette scène divinatoire que s’ouvre notre article consacré à l’une des cartes les plus étonnantes de Magic : Prédiction, éditée en 2001 dans le Bloc Odyssée. Les feuilles de thé au fond de ma tasse me chuchotent que vous le lirez jusqu’au bout.

Prédiction est un Instant bleu illustré par Rebecca Guay, ce qui est déjà un bon présage. Pour 1U, cette carte nous demande de cibler un joueur et commence par une impérative singulière : « nommez une carte », faisant directement appel à notre faculté de représentation. Le joueur ciblé devra immédiatement mettre la première carte de sa bibliothèque dans son cimetière, nous offrant ainsi la possibilité de piocher deux cartes en cas de succès dans notre entreprise de voyance. Quoi qu’il arrive nous piocherons une carte, la Prédiction se remplace donc elle-même en nous permettant d’avancer dans le deck. Cash.

En elle-même, Predict est donc un cantrip qui permet de meuler une carte d’une bibliothèque au choix, ce qui n’est pas exceptionnel mais reste jouable dans la plupart des cas. Mais lorsque l’on tape dans le mille, générer du card advantage en éphémère pour 1U est particulièrement fort et Predict devient de facto un excellent mouvement. Et si par bonheur la carte meulée venait à nous soulager d’où qu’elle vienne (une carte opportune pour l’adversaire, une malvenue pour nous), c’est jackpot et tournée générale par-dessus le marché. Son coût calculé et n’incluant qu’un seul mana coloré rend cette carte facile à inclure dans un deck multicolore, permettant à une large variété de builds d’en profiter. Notons au passage que si Predict nécessite de cibler un joueur physiquement présent dans la partie, et donc indirectement une bibliothèque physiquement présente, elle ne nous impose en revanche aucune restriction concernant la carte que nous choisirons de nommer. Elle fera donc appel non seulement à notre connaissance du jeu, mais également à nos capacités d’analyse, de calcul et de discernement. En effet, s’il est tout à fait possible de nous contenter d’un simple recyclage de Madame Irma en nommant Michael Jordan, Pikachu ou encore un Giant Albatros, le Predict nous invite naturellement à réfléchir aux choix qui vont maximiser nos chances de gagner le gros lot. En partant du principe qu’aucun d’entre nous ne possède le don de voyance (lire : que les sleeves ne sont pas marquées), essayons de parcourir l’ensemble des facteurs qui vont déterminer ces choix.

Predict est une carte qui nous pose deux questions précises à deux moments différents. Quelle bibliothèque, quelle carte ? Bien que le choix de la carte ne soit annoncé qu’à la résolution du sort, c’est pourtant à cette deuxième question qu’il nous faut répondre en premier.

Chaque carte du jeu est strictement limitée à quatre exemplaires par deck dans la plupart des formats. En considérant notre deck de 60 cartes comportant 4 exemplaires de la carte nommée, la probabilité de trouver cette carte au sommet de la pile est d’environ 6.6%, soit une chance sur quinze. Lorsque la partie commence, cette probabilité va fluctuer constamment au fur et à mesure des pioches : si un exemplaire se trouve dans vos sept de départ, il n’en reste donc que 3 dans un deck de 53 cartes soit moins de 6%. Si vous lancez Predict au troisième ou quatrième tour sans avoir pioché la carte en question, vous êtes à 4/50(100) soit 8%. En faisant grand usage de cantrips et de fetchlands il devient possible d’atteindre une probabilité de 12% mais, sauf à drainer sa bibliothèque et à disposer d’effets de remélange des cartes piochées, ce nombre sera quasi impossible à dépasser au cours d’une partie classique. Jouer plusieurs carrés augmente nos options en late game, encore faut-il pouvoir se permettre le luxe d’épuiser 50 cartes pour lancer un Predict à 20%. La solution ? Jouer des terrains de base.
N’étant pas concernés par la restriction susnommée, les nombreux exemplaires d’un même basique augmentent considérablement nos chances de prédiction, au prix d’une concession à faire sur la palette de couleur de notre deck. Environ dix exemplaires pour UG Madness ou quinze pour Mono U Control nous donne des probabilités entre 15 et 20%, ce qui commence à être intéressant. Certains builds comme Deep Blue contenant fréquemment plus de vingt Îles, la présence d’un Predict est dignement justifiable. Nos terrains de base sont donc de bons candidats à une honnête prophétie, encore faut-il rester conscient que notre sort favori nous meule d’une carte. Cela a parfois son importance car se priver d’une inconnue comporte toujours une part de risque. Il se trouve que l’un des aspects les plus savoureux de Predict est de pouvoir également cibler un adversaire, ce qui nous invite à considérer l’opposition dans notre calcul et répondre ainsi à la première question que, légitimement, cette carte nous pose.

N’ayant accès qu’à des informations partielles sur le build de l’adversaire, nous devons redoubler d’attention. Certains archétypes que nous sommes fréquemment amenés à rencontrer peuvent grandement nous faciliter la tâche : les decks monocolores comme Black Suicide ou Sligh vont conférer à notre Predict un taux de réussite à 20-33% dans la plupart des cas. Il convient alors de bien observer l’adversaire et son board. Combien de basiques a-t-il posé ? Joue-t-il des Fetchlands et/ou des Waste ? Des accélérateurs de mana ? Manipule-t-il sa bibliothèque avec des sorts et, le cas échéant, que cherche-t-il ? Ces bribes d’information que nous analysons en permanence trouvent ici un domaine d’application directe : pouvons-nous risquer un Predict sur notre topdeck à ce stade de la partie, ou est-il plus avantageux de cibler la pile d’en face ? Nos observations vont alors éclairer notre décision sur la cible à choisir et la carte à nommer, et avouons-le, meuler l’adversaire fait toujours plaisir. Cependant, quelque chose cloche.

Retourner les statistiques dans tous les sens est amusant, surtout avec une carotte à la clé. Pour autant, sortiriez-vous sur scène le lapin d’un chapeau qui marche une fois sur trois ? Défieriez-vous au tarot un sponsor potentiel en lui donnant les bouts ? Joueriez-vous à la roulette russe avec un barillet chargé de quatre balles ? Je vais trop loin. Quoi qu’il en soit, il me semble que le concept même de prédiction est incompatible avec le fait du hasard. En montant sur l’estrade le chapeau fonctionne, le jeu est rodé et les balles sont à blanc car l’audience doit pouvoir se dire « quelle chance insolente, il faut qu’il y ait un truc ». Parlons du truc alors.

Nommer une carte c’est bien, nommer la carte c’est mieux. Spéculer sur son identité en lançant un Predict aveugle doit demeurer une option, le profit a minima restant honorable après tout, mais chercher à accéder à la connaissance par des moyens complémentaires révèlera la vraie force de notre invitée du jour : Predict est une carte synergique.

Prédiction passa relativement inaperçue lors de sa sortie, le format Standard de l’époque n’offrant que peu d’occasion d’accéder aux informations des bibliothèques. C’est en Extended que la carte trouva un bon ami en la personne de Brainstorm, avant que l’impression de Sensei’s Divining Top en 2004 puis de Ponder en 2007 ne confirme son utilité dans des decks Legacy tels que Threshold, Countertop et Miracle.
Plusieurs solutions existent dans notre format, à commencer par de solides permanents avec Sylvan Library et Mirri’s Guile : déjà utilisés en conjonction avec les fetchlands, ces enchantements bénéficient grandement de la présence d’un Predict capable de nous débarrasser d’une carte hors de propos sans avoir à mélanger le deck. Scroll Rack est également un bon moyen de tirer avantage d’une carte faible depuis notre main, et le déjà puissant Future Sight ne peut que gagner à s’acoquiner avec ce genre d’effet. Il est important de noter le fait suivant : pouvoir choisir la carte qui sera meulée avec un Predict est également une forme de card advantage en soi car, en retirant une carte inadéquate de notre deck avant la pioche, nous augmentons les chances d’en obtenir de meilleures lorsque nous récolterons le fruit de notre prophétie auto-réalisatrice. Si l’on considère que chaque annonce divinatoire est anticipée et nous offre donc deux cartes distinguées en nous débarrassant d’une impropre troisième, alors un deck de 60 cartes contenant 2 Predict devient virtuellement un deck de 54 cartes.

Vu sous cet angle, le rituel Portent associé au Predict s’approche du niveau d’un Brainstorm par son impact sur le jeu, surpassant au passage Ponder par son résultat net et allant même jusqu’à pouvoir cibler un adversaire si nécessaire. Frustrer la pioche de l’ennemi en contrôlant son topdeck est une puissante tactique lorsqu’elle est utilisée au bon moment, et Predict nous permet alors de filtrer sa main en lui déniant la bonne carte. Wand of Denial, comme son nom l’indique, peut jouer le même rôle en amont, nous fournissant l’information nécessaire au moment opportun. Memory Lapse nous propose une autre intrigue sur le même thème car, utilisé avec Predict, il devient un hard counter pour 1U ce qui est un énorme avantage en termes d’optimisation des ressources dans un deck multicolore. Mais le mouvement le plus jouissif restera sans doute celui qui nous assure la fortune tout en bousillant la cible à tuteur de l’ennemi : jouer Predict après la résolution d’un Enlightened Tutor ou de la capacité d’un Sterling Grove est un scénario absolument désastreux pour l’adversaire, tant sur le plan économique que sur le plan psychologique.

En situation de jeu, Predict reste un sort à deux manas pouvant avoir la fâcheuse habitude de nous traîner dans la main car, contrairement à Portent, Sleight of Hand ou Opt, il ne sera jamais joué au premier tour et demande un peu de setup pour être pleinement exploité. Il est également rare de souhaiter le jouer au deuxième tour à moins de disposer de l’information nécessaire : sachant que le format déborde de menaces telles que Sphere, Survival, Enchantress, StifleNought, Oath, Infestation et autres Piledrivers, les ressources disponibles seront bien souvent mobilisées au profit d’un contre ou d’un Impulse afin de réagir ou de protéger une stratégie. C’est bien lorsque les premières réponses ont été jouées et que s’installe la politique du milieu de partie que Predict brille en apportant un second souffle à notre scénario. Parfois le temps manque et un recyclage précoce est nécessaire pour creuser et trouver une ressource, parfois nous devons faire le choix difficile d’une prédiction aveugle sur l’adversaire faute de pouvoir nous meuler d’une carte providentielle mais, lorsque nous avons toute latitude pour agir, la patience reste le meilleur chemin à emprunter car un Predict bien chronométré est capable de faire basculer la situation à notre avantage.

Notre cartomancienne rusée ne pouvait trouver meilleure représentante à travers ce petit éphémère bleu qui tarda à attirer l’attention. Par la consistance de son offre et l’attractivité de sa promesse, Predict est une carte élégante à la profondeur cachée. Pas tout à fait un Gush ni tout à fait un Accumulated Knowledge, elle invite le joueur à mobiliser ses connaissances, à questionner l’inconnu, à interagir avec le secret et à guetter le moment propice. Elle récompensera toujours l’occasion saisie et procure, en somme, une véritable expérience de jeu à elle toute seule.  

Au fait, je vous avais bien prédit que vous liriez cet article jusqu’au bout, n’est-ce pas ? Je pioche deux cartes. 

Caméléo