Si vous saviez docteur, la terreur que j’inspirais jadis. Il me semble pourtant que c’était hier, mais où était-ce ? Dans un monde parallèle plus favorable à mes caprices ? Je ne sais plus. Les frontières spatio-temporelles finissent par se brouiller lorsque l’on ressuscite sans arrêt, voyez-vous. Le fait est que je ne reconnais pas cet univers dans lequel je meurs tous les jours, et curieusement ce dépit me donne l’envie de revivre pour de bon.
Ichorid, Nether Shadow et Ashen Ghoul, trois créatures du soir entrent dans un bar. Que faire lorsque l’on est un professionnel du retour acharné mais que l’on se pointe toujours en retard ? Il ne reste plus qu’à boire, à boire jusqu’à la mort en espérant se faire ensevelir dans la fosse commune avec, si possible, quelques cadavres au-dessus de la tête pour faciliter le réveil et retenter sa chance, inlassablement.
Si seulement l’on parvenait à faire sonner ce réveil prématurément, à déclencher l’horreur avant le lever du soleil, afin que ces créatures de l’ombre puissent se glisser dans la nuit et commettre leurs méfaits en toute célérité. Alors l’obscurité s’étendra par-delà les lignes adverses, frappant le monde connu de ses griffes lugubres, et les ténèbres régneront pour l’éternité. Et ce ne sont ni ces anges déplumés ni ces cuirassés en tôle, pas même ces pitoyables mangoustes qui, lorsque la lumière elle-même ploiera sous l’épouvantable laideur de la grande faucheuse, empêcheront les esprits infernaux d’imposer leur fatal verdict !
Malheureusement pour ces âmes-déjà-en-peine, le format Premodern n’offre que peu d’occasions de ressortir de la tombe en temps et en heure, tandis que les alertes ne manquent pas pour toutes sortes de créatures un peu moins photophobes. En effet, si l’avenir appartient à ceux qui se lève tôt, alors les vilains laquais, les soldats en toge et les lézards du sud ne sont pas près de disparaitre du paysage. À moins que le vacarme incessant de cette insouciante engeance ne finisse par faire trembler la terre et réouvrir la boite aux horreurs ? Car il nous faut garder à l’esprit que si l’on a tendance à oublier facilement ceux qui sont morts, eux se souviennent éternellement de nous.
Mesdames et Messieurs, voici donc le retour d’Ichorid, le seul mort-vivant qui n’en finira jamais de dire son dernier mot.

Un peu d’histoire : lorsque l’Ichorid est imprimé en 2002, les créatures à récursion existent déjà depuis longtemps et sont principalement utilisées comme chair à canon, pour payer des coûts d’entretien ou de la discard, tout en s’offrant le luxe de pouvoir taper pour quelques points au passage. Nether Shadow et Nether Spirit ont fait leurs armes comme camarades de jeu de Pox, Skull Catapult, Goblin Bombardment et Contamination par leur faculté à assurer gratuitement une constante présence sur le champ de bataille, offrant un avantage stratégique basé sur l’optimisation des ressources (via une synergie avec le sacrifice) et un avantage tactique par les multiples interactions et manipulations du graveyard qu’elles déclenchent. Ashen Ghoul, plus aggressive mais nécessitant l’investissement en mana en sus d’une condition plus restrictive de déclenchement en fin d’entretien, est une clock pressurisante que sa capacité de résurrection rend particulièrement dangereuse pour l’adversaire après le passage d’une Pox. Krovikan Horror est également un membre de la famille, bien qu’assis sur une autre branche : si son utilisation concrête va différer de celle de ses frères, son mécanisme de récursion reste proche et sa capacité activée est particulièrement synergique avec les sales habitudes du clan fantôme.
Véritable star de la bande, Ichorid brille par son mécanisme unique garantissant un tourment constant pour l’adversaire, et cela à peu de frais. En effet, les conditions de son retour sont moins restrictives que celles de ses copains et introduisent une nouvelle forme d’avantage tactique dans un build approprié : peu importe que l’Ichorid soit bloqué ou sacrifié pour un bénéfice, il restera une menace et un atout tant qu’il y aura suffisamment de nourriture pour entretenir sa présence. Cette mécanique récursive, à travers laquelle chaque créature est potentiellement amenée à jouer un deuxième rôle après sa mort, génère à la fois une forme de card advantage virtuel basé sur le graveyard et une forme d’optimisation des ressources consacrées à l’oppression sur le board. Si l’on ajoute le fait que l’Ichorid est édité dans un block qui fait la part belle aux interactions avec la tombe, notamment par l’introduction des capacités Flashback et Threshold ainsi que par l’impression des meilleurs défausseurs du format, nous pouvons considérer que la bête a été livrée avec tous les accessoires pour la faire fonctionner de façon optimale.
À la différence des stratégies basées sur la réanimation d’un gros thon, toutes ces créatures reviennent naturellement en jeu tour après tour sans mobiliser de ressources et l’arrivée d’Ichorid a grandement renforcé l’aspect agressif des decks exploitant le graveyard en amplifiant la valeur des créatures défuntes. Peu sensibles aux contresorts, naturellement résistants au removals (Swords excepté), ces decks infernaux deviennent une véritable plaie pour les jeux Contrôle et un challenge consistant pour la plupart des Midrange. D’autres esprits frappeurs virent le jour comme Bloodghast ou Nether Traitor, puis arriva l’impression d’une capacité qui changea entièrement la donne et éleva Ichorid au panthéon des stratégies classes, Dredge. Il nous faudra malheureusement nous en passer ici.
Qu’on se le dise : ces ectoplasmes, bien que harassant par leur incapacité à mourir complètement, n’ont qu’une portée limitée. Pas de capacité d’évasion, pas de trample, une force de frappe relativement modeste et une dépendance totale à l’existence même du cimetière. Tormod’s Crypt est donc leur ennemi number one, et une grande quantité de Hate souvent embarquée en prévision d’autres stratégies peut poser de sérieux problèmes à Ichorid par effet collatéral. En l’absence de Dredgers et de Bazaar of Baghdad qui augmentaient considérablement la vitesse de sortie des bestioles, il est donc capital d’adjoindre au build une stratégie complémentaire moins risquée sur laquelle nous pourrons également basculer en cas de coup dur. Générer du token grâce à Zombie Infestation semble être la première option solide, nous allons donc lui donner sa chance.

Ce qui rend le build si amusant à jouer est son mode opératoire, à contresens des principes fondamentaux de Magic : construire du mana ramp ou du card advantage classique n’est pas intéressant car les cartes en main ne constituent plus la ressource principale du joueur, et manipuler la bibliothèque n’est pas plus important car le moteur du jeu se situe au niveau de l’organisation du graveyard, cette zone devenant de facto la véritable main. Conséquemment le bluff et la surprise sont des tactiques quasi absentes de ce deck puisque l’on cherche essentiellement à le jouer cartes sur table : il s’agit de remplir le graveyard au maximum et en toute transparence.
Pour cela, les classiques Careful Study et Breathrough viennent appuyer le meilleur one-drop du jeu : Putrid Imp. Selon le sens du vent, Intuition nous permet d’aller chercher Squee, Infestation, triple Therapy ou encore des créatures pour nourrir l’Ichorid si nécessaire. Enfin, Wonder assure l’évasion de notre petite armée tandis un Sickening Dreams va résoudre des situations difficiles en rasant le board, voire même en cloturant directement une game un peu serrée. Niveau mana le build donne satisfaction à 18 lands max sachant que la courbe est très basse, monter au delà est risqué car augmente le nombre de « dead discard ». Côté sideboard, on retrouve les classiques Chain of Vapor – Hydroblast dont la flexibilité n’est plus à démontrer, Dreams et Plague contre aggro, les Null Rod suite à un traumatisme (je vois des Devourer partout) et enfin The Negators pour une clock supplémentaire face aux Contrôle lourds.
Pour jouer ce deck il est important de garder à l’esprit la notion suivante : dans la mesure où le GY devient une extension de la main, une créature décédée peut être amenée à remplir plusieurs fonctions : elle peut retourner en main pour être jouée ou défaussée, revenir en jeu à l’entretien sous conditions, rester dans le graveyard pour remplir la condition de retour d’autres créatures ou être exilée pour ressuciter Ichorid. La tentation est donc grande de faire exploser sa main au premier tour sur un Breathrough afin de garnir le grave d’une dizaine de cartes incluant une combinaison d’Ichorid, Shadow/Ghoul et Therapy, et cette prise de risque peut s’avérer payante. Un play plus prudent consiste à filtrer tranquillement avec Careful Study/Cephalid Coliseum/Imp tout en collectant de l’information avec Therapy jusqu’à ce que le grave soit suffisamment important, quitte à basculer éventuellement sur un plan Infestation. Faire sortir de terre Ichorid et une autre bestiole au second tour grâce à Imp ou Breakthrough n’est cependant pas chose rare et le calcul est intéressant : en attaquant pour 4 ou 6 blessures T2 avec la possibilité de thérapiser gratuitement derrière, on « brûle » au minimum 1 carte (avec Imp et Ichorid+exil) pour B, et au maximum 2 (avec Breakthrough, Ichorid+exil et une Ghoul) pour UB en ayant rempli son GY, ce qui est très haut dans les statistiques. Maintenir cette oppression au T3/T4, en fournissant le GY et en séquençant judicieusement les cartes qui en franchissent la porte, et le jeu est plié. Et comme les choses ne se passent jamais exactement comme prévu, Zombie Infestation est un excellent outil d’aggression supplémentaire en cas de forte résistance.
Garder une Infestation en opening hand avec un land unique ne s’est jamais révélé être un mauvais choix car la carte, en plus d’être un counters-magnet à n’importe quel stade de la partie, agit sur les deux tableaux et permet de rattraper un faux départ d’Ichorid & co. Elle pressurise l’adversaire et l’oblige à sortir d’une attitude « passive », e.g. un Gush-deck sculptant sa main ou un Enchantress occupé à assembler son moteur de pioche.
Malgré la supériorité effective du deck sur Contrôle et des résultats encourageants face aux archétypes Burn et Madness, un problème finit par se présenter un peu trop souvent au fil des parties : les conditions multiples de récurrence des créatures avec une Infestation active finissent par générer de la concurrence dans le cimetière. En effet, lorsqu’il nous faut faire un choix entre remonter les Krovikan Horror/Squee en main pour les défausser sur Infestation ou bien les laisser au GY pour faire revenir continuellement Ashen Ghoul/Ichorid, les cartes qui jusque là jouaient un double rôle stratégique voient leur valeur virtuelle soudainement divisée par deux, en prenant en compte l’évolution de la partie à ce stade. Bien qu’il puisse sembler luxueux d’être en mesure de choisir entre ces deux angles d’attaque, la réalité est toute autre lorsque l’on joue en midgame avec un deck linéaire à la curve très basse, peu de disruption et sans « finisher ». En bref, il nous faut trop souvent le beurre et l’argent du beurre pour remporter la victoire. À moins que la solution ne se trouve ailleurs ?
Il est temps de nous renseigner un peu sur ce « docteur » qu’Ichorid est allé consulter pour réduire sa dépression.

Le vieux druide avait vu juste : rien ne sert de mourir, il vaut mieux cuire à point. Et bien que l’explosivité historique de Dredge ne puisse être répliquée à la perfection, un coup de pouce de la part de ce toubib des bois pourrait donner un second souffle à la stratégie et aider Ichorid à retrouver un sentiment de jeunesse. Car cette fois on fonce les yeux fermés et tête baissée.
En coupant totalement le bleu et sideboardant l’entièreté du plan Infestation, Ichorid & co se retrouvent à poil et s’en remettent entièrement à l’activation unique du Hermit Druid. Afin de permettre au grand chevelu d’arriver à ses fins le plus rapidement possible, la disruption s’additionne de Duress et Unmask tandis que Lotus Petal et Worldly Tutor accélèrent le plan et que Krosan Reclamation / Legacy Weapon nous permettent de survivre à la meule intégrale garantie sur facture par l’absence des basics. Le résultat idéal est une armée de monstres célérisés qui touche le board T3 et attaque immédiatement pour une vingtaine de blessures, tandis qu’un Putrid Imp recycle inlassablement l’unique Weapon qui nous empêche de mourir, tel le petit mousqueton d’acier lors d’une cascade de glace. Bref, ça passe ou ça casse.
Un avantage certain de ce parti pris est l’élément de surprise cette fois bien présent au coeur de la stratégie : en renouant avec un esprit de vitesse de l’agression, on s’offre une meilleure chance face aux decks aggro et combo de façon générale et le sideboard, devenu semi-transformel, ajoute un parfum de confusion pour l’adversaire à la deuxième game. Cela est-il suffisant ?
Nous pouvons rêver d’un avenir meilleur pour ces créatures du passé et leur souhaiter de faire tout le mal possible. Coincées entre deux époques, ces âmes damnées au sommeil imparfait semblent lutter pour imposer leur spectacle sur la scène de bataille, avec autant de fidélité que de rupture. Peut-être devons-nous également admettre que leur numéro ne sera jamais parfaitement au point. Une chose est sûre : Ichorid n’aura pas consulté pour rien !
Caméléo
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